J'étais là, moi aussi…
Je me rappelle cet été si torride où nous cherchions par tous les
moyens de trouver un peu de fraîcheur. Ma mère préparait un panier
rempli de sandwiches, quelques « tupperware » avec du
riz ou de la salade et nous partions dans notre petite Fiat 127,
direction le bord de l’eau.
Je me souviens de cette chaleur accablante, de mes jambes collées
à la banquette en skaï et de mon dos dégoulinant entre mon t-shirt
et le dossier. J’en étais malade par la fumée de cigarette que
recrachait mon père rendant cet air suffocante totalement
délétère. Même le lecteur « Stereo 8 » semblait bailler
le « Volare Cantare », signe que même la bande
magnétique supportait mal, elle aussi, la chaleur tropicale de
notre petite automobile.
Comme si cela ne suffisait pas, ma petite sœur me suppliait pour
que je lui lise son livre préféré « Petite abeille est
malade » alors que moi-même j’en avais la nausée de ce trajet
interminable. Même le St Christophe collé sur cette imitation de
bois, servant à rendre l’habitacle plus luxueux, commençait à se
détacher comme pour prendre la fuite.
Nous partions de Leval par la route de Charleroi en direction de
Binche, cette ville qui nous accueillait par ces quelques paysans
accrochés sur des poteaux, semblant nous saluer pour nous accorder
la bienvenue. Cela déclenchait en moi un certain soulagement,
signe que calvaire arrivait bientôt à terme dans la délivrance
d’une piscine fraîche en plein air.
Arrivé sur ce sol bénit, je trépignais d’impatience dans la file
des aspirants baigneurs. Il faut dire qu’en cet été 1976, la plage
devient une fournaise et pas une seule place à l’ombre n’est
disponible. Il y a bien quelques parasols parsemés sur les
terrasses, mais ceux-ci nous obligeraient à abandonner notre place
dans la queue et de tout recommencer depuis le début.
Ma mère et ma sœur nous attendaient sous la terrasse sur pilotis,
tandis que mont père et moi restions dans le rang approchant la
ligne de démarcation libératrice. Avant que ma sœur ne naisse,
j’attendais sur le toboggan ou sur la bascule. Il m’arrivait
parfois, depuis la petite balançoire, d’observer les gens qui
mangeaient des frites et les enfants qui barbotaient dans cette
petite pataugeoire coincée entre les haies. Mais je ne suis plus
un enfant à présent et je dois savoir me tenir, cela même si le
soleil me brûle la peau. Alors je patiente...
Ca y est, ma sandalette droite touche le béton qui forme un petit
chemin entre les cabines et le grand bassin. Malgré mes douze ans,
je reste impressionnée par le grand plongeoir qui se dresse devant
moi, où quelques baigneurs plus aguerris exécutent des figures
acrobatiques, exhibant par là même, leur courage et leur habilité.
Enfin je pénètre dans la petite cabine sombre m’offrant déjà un
avant-goût de fraîcheur, l’endroit est exigu et je peine à ôter
mes sandalettes à cause de ce tabouret qui bascule lorsque je me
penche vers l’avant. J’accroche mes vêtements au crochet, je tente
de me mettre sur la tête ce bonnet de caoutchouc collant formé
d’alvéoles et j’ouvre la porte invitant la lumière aveuglante à
inonder le minuscule habitacle.
Je scrute les alentours tentant, désespérément, de trouver dans
cette foule un visage familier, mais rien. Je ne retrouve pas mon
père et ma mère s’en est allée avec ma sœur à la petite
pataugeoire.
Réalisant que j’étais le seul à porter ce stupide bonnet, je
l’ôtais, non sans perdre quelques cheveux au passage et le déposa
dans ma cabine.
Seul et désemparé, je poursuis mon chemin en direction du grand
l’escalier rouge qui descend progressivement dans l’eau froide.
Marche par marche, obstacle par obstacle, je pénètre enfin les
flots glacés, mais combien salvateurs, de cette auge bienfaisante.
A peine m’étais-je acclimaté que mon prénom retenti d’un coin du
bassin : « Hé, Giovanni ! ». Je m’orientais
vers la voix qui m’appelait et j’eus peine à reconnaître mes
camarades de classe Manu et Eric. Nous avions joué toute la
journée à s’enfoncer mutuellement la tête sous l’eau, à nous tirer
par les pieds et à celui qui descend le plus profondément en
apnée.
Comme je commençais par avoir froids et faim, je me suis assis
sur le rebord et je regardais, droit devant moi, ces adultes qui
cuisaient au soleil ardent. Puis, regardant à gauche, je reconnus
ma mère attablé avec ma sœur et mon père sous la pergola au pied
de l’escalier. Je finis par me revêtir et les rejoindre dévorant
goulue-ment un des sandwiches qu’elle avait préparés ce matin,
sirotant un coca.
Il ne me fallut pas trop longtemps pour être rejoint par mes
camarades de classe, ainsi que mon cousin qui venait juste
d’arriver. Malgré mes douze ans et la chaleur qui nous
ramollissait, nous jouions comme des fous avec les toboggans,
balançoires, bascules ou à courir l’un après les autre. Parfois
mon père m’ordonnait de m’occuper de ma sœur, alors je la poussais
sur le tourniquet, je le fis si souvent et tous les autres enfants
de son âge la rejoignirent, que les paumes de mes mains
commençaient à sentir le métal.
De temps à autre, je retournais m’abreuver auprès de mes parents
qui discutaient avec mon oncle et ma tante. Tandis que l’après
midi s’écoulait paisiblement, l’un après l’autre, mes camarades
rentrèrent chez eux, alors que ma sœur dormait enfin profondément
dans sa poussette de promenade.
Le soleil rougeoyant se couchait sur le parking de Binche Plage,
emportant avec lui les derniers instants de mon enfance et ainsi
se sont refermées les portières de notre 127, pour ne s’ouvrir que
sur l’aube de la grande école qui m’attendait de pied ferme.
J’y suis retourné les autres années, mais le passage en
secondaire et l’adolescence m’ont fait dénigrer les deniers
instants que Binche Plage offrait à ceux qui lui sont restés
fidèles. Ce n’est que lorsque j’ai revu ce site défiguré, que j’ai
pris conscience de ces jours heureux que j’y avais vécus.
Aujourd’hui, quand je regarde le bandeau du site Internet qui lui
est consacré, j’y revois ces instants de mon enfance et je me
dis : Voilà j’étais là, dans ce coin là.
Article librement inspirée de plusieurs récits de personnes
nées dans les années 1960 ayant fréquenté Binche Plage durant
les années 1970