L'histoire de Binche-Plage
Dès le 8 juillet 1936, apparaissent en Belgique les congés payés
et avec eux les premiers centres de délassement pour la classe
ouvrière. Ce sera peu avant cette période que Paul Hoyaux bâtira
sa « Station Balnéaire » au cœur du Hainaut.
D’un bosquet jaillira une plage artificielle, composée d’une
piscine en plein air en guise de mer, d’un grand bac à sable façon
plage servant de solarium (qui deviendra une pelouse avant d’être
bétonné) et même une construction qui sera le décor d’un pont de
paquebot transatlantique où quelques serveurs apporteront divers
rafraîchissements aux estivants déshydratés.
Mais il faut que le plaisancier, une fois sur place, ne quitte le
large que pour aller se coucher. Voulant retenir ces badauds le
plus longtemps possible et leur offrir un maximum de
divertissement, Paul y ajoutera un jeu de bouloir, pour les hommes
qui auront envie d’étaler leurs habilités et pour les
enfants : des balançoires, des toboggans et un tourniquet.
Tout ça en plus de la pataugeoire à coté de laquelle se dressera
une friterie pour les estomacs affamés. Ce qui garantira qu’ils
reviendront les dimanches suivants ou les autres jours.
Ce n’est pas tout, ce coin sera aussi celui de la séduction et de
la danse, où les jeunes tourtereaux pourront se rencontrer et les
couples mariés, se tenir dans les bras l’un de l’autre au son des
orchestres qui animeront les bals du dimanche.
On pourra même se dégourdir les jambes dans un lopin de verdure
dominant le site.
L’affaire sera un immense succès et s’appellera tout
naturellement « Binche Plage ». Elle sera telle que Paul
l’avait prévu ; Les danseurs ou mélomanes devaient être
patients, dans ces longues files, pour profiter de certains
orchestres en vogue à l’époque, passant un par un à la caisse, au
travers d’une entrée réduite taillée dans les grandes portes.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, Binche occupée conservera son
centre de délassement et beaucoup diront :
« Heureusement qu’il nous restait Binche Plage pour nous
divertir ! ».
Les terres du haut de la butte serviront de « coins
jardins », nourrissant quelques familles qui, à tour de rôle,
assumeront depuis une roulotte, leurs tours de garde afin d’éviter
d’être dévalisées de leurs maigres récoltes.
A la libération, Binche Plage retrouvera son public heureux de
fêter la défaite de l’ennemi, le succès persistera.
Les années soixante approchent, mais son créateur n’a plus le
cœur aussi solide que l’édifice qu’il a bâti, il se voit contraint
de céder l’entreprise à son brasseur (livreur de bière), François
Risselin. Ce dernier vient de lui faire une offre, car il
sait ; au nombre de bacs de bière, de bouteilles de limonade,
d’eaux et autres boissons, englouti par Binche Plage, que c’est
une affaire en or. D’autant plus, sa fille se montre capable de
performances remarquables en natation, il lui faudrait une piscine
pour l’entrainer et faire ses dix kilomètres de nage par jour.
Christiane, la fille de François, remportera d’ailleurs de
nombreux titres prestigieux, dont celui de championne de Belgique
en 1961.
Paul Hoyaux succombera en 1965, alors que François Risselin aura
transformé une partie des lieux. Il conservera presque à
l’identique le monument de Paul Hoyaux, en convertissant le petit
lopin de terre qui surplombait le site en camping. Il creusera, à
coté de Binche Plage, un étang de pêche.
L’entreprise reste toujours aussi florissante.
On raconte que les recettes étaient si importantes, qu’il fallait
étendre des draps pour y déposer l’argent récolté et en faire des
ballots [1].
Du début des années soixante à la moitié des
années septante (soixante-dix), Binche-Plage accueillera des
centaines et des centaines de visiteurs, plus de mille Gueuzes
bouchonnées de 75cl y seront vendues les jours
d’affluence [2] et il faudra parfois attendre jusqu’à 45
minutes pour être servi.
Les conditions climatiques se dégraderont, les mois ensoleillés
se feront de plus en plus rares et les étés de plus en plus
capricieux. Au point que les frais d’entretien deviendront
insupportables et un malheur ne venant jamais seul, les services
d’hygiène imposeront d’utiliser de l’eau de ville pour remplir les
600 mètres cubes du bassin, ainsi que l’utilisation de filtres
appropriées.
Binche Plage deviendra difficile à gérer, le coût
insupportable ! François pensera à plusieurs reprises de
fermer le site, mais le soleil revenant parfois quelques années
suivantes pour les encourager à continuer, ne perdurera pas.
Vers 1980 au lieu de fermer complètement le site et de se
retirer, il décidera alors de reboucher les deux tiers du bassin.
En effet, une directive stipule qu’à moins d’un mètre cinquante de
profondeur, la présence de maître nageur n’est pas indispensable
et la quantité d’eau à traiter, nettement inférieure.
Ce sont là de gros frais qu’il pensera
épargner ; Il convertira ces deux tiers en terrain de
pétanque, mais tous s’accorderont à dire qu’il venait de signer la
fin de Binche Plage [3].
Petit à petit, le lieu sera déserté et seuls les nostalgiques
resteront. Binche Plage sombrera peu à peu.
François décédera le 19 décembre 1986 et sa veuve revendra,
l’année suivante, le terrain où étaient : la piscine, le bac
à sable et la terrasse qui le longeait au propriétaire voisin. Il
n’y aura donc plus d’espoir pour Binche Plage. Même si tout le
mécanisme qui gérait la piscine avait été soigneusement conservé,
rendant possible sa réouverture à tout moment. Mais là c’est le
coup fatal, la marche arrière est à présent impossible, le Titanic
vient de heurter l’iceberg.
Depuis le camping, malgré les aménagements apportés par le couple
héritier, deviendra un lieu à la mauvaise réputation. Il fera
l’objet de nombreuse plaintes et d’infraction au code de
l’urbanisme. Son permis d’exploitation sera retiré en 2002,
ensuite commenceront dès 2009 les nombreuses interventions de la
Ville de Binche, dans un style qui rappellera celui de
l’occupation allemande.
Décembre 2010, le dernier campeur s’en va, le camping est
désormais la proie des ferrailleurs et autre vandales.
Aujourd’hui, il n’en reste plus rien ! La nature y reprend
ses droits.
Seule persistent l’étang et sa buvette, mais le site est en vente
et il est fort à parier qu’il sera converti en logement. Il ne
restera plus rien de Binche Plage, seul un arrêt de bus, en guise
d’épitaphe, porte son nom. C’est tout ce qui reste de l’édifice de
Paul Hoyaux : un arrêt de bus !
Références :
Cet article a été rédigé à partir des témoignages de :
Josué Risselin, Olivier Codden, Pierre Vanderstichelen, de son
épouse Jacqueline Hoyaux (la nièce de Paul Hoyaux) et de Pierre
Navire.
[1] Pierre Navire confirmera qu’il s’agissait d’une rumeur
[2] Ce qui ne représente qu’une partie des consommations,
mais n’est ni confirmé, ni infirmé par Pierre Navire.
[3] C’est en fait le contraire, voir l’article "De l’autre
coté du miroir"